Chère Madame,
Votre serviteur fait parti des fidèles lecteurs de votre blog. Vos publications sont toujours d’une grande utilité et fiabilité. Dans ce message je vais me permettre d’évoquer un de vos articles intitulé : Le commencement de la fin, paru sur l’excellent journal, Monde et Vie.
Votre article évoque une fin avenir et beaucoup d’observateurs ressentent cette analyse. Depuis un certain temps, fort d’une grande espérance qui se doit au chrétien, j’évalue une crise majeur à venir. Mon soucis est de me dire, lorsque ce jour arrivera : que devra-t-on dire aux fidèles pour qu’ils ne tombent pas dans une grande déprime et de terribles souffrances ? Nous sommes à la fin d’un cycle, et en devoir de penser que ce cycle ne peut être ni celui de l’Eglise, ni même celui de la papauté. Dieu par sa sainte Eglise ne peut ni se tromper ni nous tromper. Mais en voyant l’actuel fonctionnement des églises latines l’on est en droit de se demander si à un moment de notre histoire nous ne nous sommes pas trompé. Certains choix du pontife romain, que vous évoquez sur votre blog, de laisser parler et agir certains prélats et d’en faire taire d’autres, sont de pleins actes d’autorité et l’on peut même dire des actes du Magistère romain. Cela dépasse en gravité la crise arienne du IVe siècle. Cette situation serait impensable dans les patriarcats des Russes, Grecs, Coptes, Syriaques, Chaldéens et des Arméniens. Mais il fut un temps où cette situation aurait été impensable dans les églises latines. Des évêques se seraient levé pour protester.
Biais cognitif
Il semblerait que tout soit fait pour qu’aucun évêque ou prêtre en charge pastorale ne se lève pour parler. Il y a un réel biais cognitif pour tout ce qui porte sur la papauté. Nous trouvons dans un message du Forum Catholique, un texte de Mgr Athanasius Schneider qui parle de son attitude envers le Concile Vatican II :
« C’était pour moi une sorte d’ «infallibilisation» inconsciente et totale du Concile (inconsciemment, pas sur le plan théorique) et de toutes les déclarations des papes. J’étais mal à l’aise quand j’entendais des critiques et je n’aimais pas suivre ou étudier ces critiques parce que j’avais peur d’être entraîné dans une direction qui aurait été infidèle à l’Église et contraire à ma dévotion envers le pape. Instinctivement, je réprimais tout argument raisonnable qui aurait pu être l’ombre d’une critique des textes conciliaires.
« À présent, je réalise que j’avais comme « éteint » ma raison ; en effet, une telle attitude n’est pas saine et va à l’encontre de la Tradition de l’Église, comme nous le constatons chez les Pères, les Docteurs et les grands théologiens de l’Église au cours des deux mille ans passés. » (p.116-117)
Les catholiques attachés à la Tradition, victimes de cette situation, font une grave erreur de penser que ce désordre de la pensée occidentale vienne de la deuxième moitié du XXe siècle. L’on peut dire qu’eux aussi furent artisans de ce désordre et firent des victimes au sein de l’Eglise.
Dernièrement dans une lettre commune, le Cardinal Raymond Burke et Monseigneur Athanasius Schneider du 23 septembre 2019 s’étonnent :
il semble qu’il n’y ait plus la possibilité d’un honnête débat théologique et intellectuel, et de l’expression des doutes concernant des affirmations et des pratiques qui obscurcissent et blessent l’intégrité du dépôt de la Foi et de la Tradition apostolique. Une telle situation conduit au mépris de la raison et donc, de la vérité.
Une bonne approche de cette situation pourra se faire en relisant : Les principes formels du christianisme dans le débat œcuménique, du cardinal Ratzinger dans : Les principes de la théologie catholique. Si celui qui sera le futur pape Benoît XVI consacre un tiers de son ouvrage pour parler du débat œcuménique ce n’est pas pour nous louer les vertus du dialogue œcuménique mais pour nous expliquer les fondement de l’Eglise. Au premier millénaire de son histoire les églises d’occident et d’orient sont unies dans leur conception de la vérité reposant sur la catholicité dans le sens de Saint Vincent de Lérins, non pas dans l’unique sens spatiale, universel, mais partout, tout le temps et pour tous. Il semble que nous ayons perdu le sens de beaucoup de mots, dont celui de catholicité. Au deuxième millénaire de leur histoire les églises d’orient continueront de garder le même fondement de la vérité, alors que les églises d’occident la feront reposé de plus en plus sur un seul homme : le pape. Les orientaux ont gardé l’antique conception d’Eglise vu comme sacrement, alors que les occidentaux lui donnent une vision de structure juridique. Dans ce texte il semble que le cardinal Ratzinger se mette dans une attitude d’expectative : attente prudente qui consiste à ne pas prendre parti, en attendant une solution. Il ne condamne pas la position des orientaux et ne déclare pas que celle des occidentaux soit la vraie.
Là où paraît l’évêque… là est l’Église catholique
Personnellement je pense que la réelle fracture entre l’occident chrétien et l’orient chrétien se fait lors de la dernière réforme liturgique du XXe siècle. Cette situation est causée par une fracture datant de bien plus longtemps au sein même des églises latines lors de la controverse des cisterciens contre les clunisiens. Un autre élément de la crise actuelle vient de la suppression du clergé séculier mineur. Saint François de Salle dès ses premières années de pontificat tonsura mille jeunes hommes par an et ordonna prêtres en moyenne cent par an. L’on prétend que ces jeunes se faisaient tonsurer pour toucher des bénéfices et échapper à la justice civile. Une simple réflexion permet de voir le ridicule de cette affirmation. Dans l’Ancienne alliance, un douzième de la population constitué la tribu de Lévis ayant pour mission de soutenir les prêtres. Le clergé séculier mineur permettait un apport important de la plèbe au fonctionnement de l’Eglise. Nous le voyons encore dans certaines églises orientales. Un grand effort fut fait après le concile de Trente pour supprimer cette composante. Bien que ces éléments sont importants à connaitre pour la compréhension de la crise actuelle je ne les développerais pas et préfère passer au fondement de l’église défini par saint Ignace d’Antioche : Là où paraît l’évêque… là est l’Église catholique.
Il fut un temps où pour me présenter en tant que catholique, j’aurai dit être sujet de l’église de Tulle, ou je suis né, et résident dans l’église de Moulins, où j’habite. Maintenant je me contente de dire que je suis de l’église romaine. Les églises particulières de Tulle et Moulins semblent avoir disparues. Le curé de la paroisse où j’assiste à la messe, comme tous les bons curés, cite rarement son ordinaire du lieu, mais presque toujours le pape. Je suis dans un diocèse qui en quelques décennies a connu plusieurs pontifes. L’évêque semble de nos jours un haut fonctionnaire affecté par d’obscurs mécanismes nationaux ou romains au nom du pape. Son inamovibilité de père de son église lui donnait la liberté de parler. Maintenant, comme une épée de Damocles il sait que sans que soit donné la moindre raison, une décision de congrégation romaine pourra lui ôter sa charge. Pourtant Saint Ignace d’Antioche, est clair :
« Suivez tous l’évêque, comme Jésus-Christ suit son Père, et le presbyterium comme les Apôtres ; quant aux diacres, respectez-les comme la loi de Dieu. Que personne ne fasse, en dehors de l’évêque, rien de ce qui regarde l’Église. Que cette eucharistie seule soit regardée comme légitime, qui se fait sous la présidence de l’évêque ou de celui qu’il en aura chargé. Là où paraît l’évêque, que là soit la communauté, de même que là où est le Christ Jésus, là est l’Église catholique. Il n’est pas permis en dehors de l’évêque ni de baptiser, ni de faire l’agape, mais tout ce qu’il approuve, cela est agréable à Dieu aussi. Ainsi tout ce qui se fait sera sûr et légitime.
Lettre aux Smyrniotes, VIII
Cette donnée ecclésiologique était même inscrite dans le fonctionnement de la société civile. Pendant au moins huit siècles, de Louis le Bègue à Louis XIII, lors de leur sacre les rois de France vont s’engager sur un privilegium canonicum, non celui de l’Eglise de France mais celui de chaque évêque et église de son royaume :
Je vous promets et octroie qu’à chacun d’entre vous et aux églises à vous soumises je conserverai le privilège canonique, la loi due et la justice, et que, dans la mesure où je le pourrai, avec l’aide de Dieu, je vous assurerai la défense, comme roi en son royaume le doit faire par droit à chaque évêque et à l’église à lui soumise.
Inconsciemment les rois de France ont préféré se parjurer en favorisant le centralisme romain sur la défense de leurs églises particulières. Ceci pouvait permettre un centralisme et absolutisme de leur pouvoir civil. Si l’absolutisme fut l’ennemi qui fit tomber la royauté française au XVIIIe siècle, il ne pourra pas faire de même à la papauté au XXIe siècle, mais il pourra lui causer des problèmes.
Pour comprendre cette situation il faut revenir avant le concordat de Bologne, la tradition par des élections, permettait à chaque église de se choisir son évêque. Mais même nommés par le roi, les évêques gardèrent une liberté d’expression et d’action pour le ministère de leur diocèse. Il fallut attendre intrusion des jésuites dans la société civile pour voir se détruire les fondements de l’église et de la société. A partir des Bourbons, en prenant la direction du for interne des rois, les jésuites, par leurs fonctions de confesseurs, purent imposer leur néfaste conception du monde.
Il est certain qu’à partir du début du XVIIIe siècle, même les évêques perdirent : la possibilité d’un honnête débat théologique et intellectuel, et de l’expression des doutes concernant des affirmations et des pratiques qui obscurcissent et blessent l’intégrité du dépôt de la Foi et de la Tradition apostolique.
Terreur ultramontaine et responsabilité dans la Révolution
Au Concile de Trente qui donne la définition exhaustive de la foi catholique, et qui est aussi acceptée par les orientaux, à aucun moment ne fut évoquer l’infaillibilité pontificale. Certes elle faisait débat, mais la contester ne valait pas l’anathème. Ce fut à la suite de la publication de la bulle papale Unegenitus. Cet acte du Magistère fut contesté par plusieurs évêques français et l’on peut considérer qu’il s’agit là du premier grand mouvement d’opinion publique en France. Mgr Pierre de Langle, évêque de Boulogne-sur-Mer, écrit en juin 1714, à Mgr Noailles, archevêque de Paris : « Pour moi, j’ai plus de la moitié de mon diocèse, en Artois, où les peuples, non plus que les ecclésiastiques, n’ont point d’autre religion que de croire le pape infaillible et de respecter comme des oracles toutes les décisions qui viennent des tribunaux romains.
C’est une véritable terreur intellectuelle qui s’était instauré contre ceux que l’on désigne du nom de jansénistes, qu’eux-même refusaient. J’ai eu comme beaucoup de bons catholiques eu un biais cognitif dans l’étude de Port Royal qui conduisit, déjà bien avant la proclamation de la bulle papale, jusqu’à destruction des murs de cette abbaye. J’estimais que ces actions contre la liberté de conscience de ces religieuses étaient justifiées. Aucun sentiment d’empathie, de compassion devant la souffrance de ces femmes qui avaient comme seul crime celui défendre une position que l’on retrouve dans l’oraison de collecte du premier dimanche de l’Avant : Réveillez votre puissance, Seigneur et venez, pour que, dans le grand péril où nous sommes à cause de nos péchés, nous puissions trouver en vous le défenseur qui nous délivre et le libérateur qui nous sauve. Lorsqu’on lit les thèses condamnées par bulle Unegenitus, l’on se dit que la logique voudrait que soit condamné une partie de la liturgie romaine.
Cette terreur
En 1746, Christophe de Beaumont, archevêque de Paris, décide que les fidèles doivent pouvoir justifier d’un billet de confession signé d’un prêtre favorable à la bulle Unigenitus pour recevoir la communion ou les derniers sacrements.
Suite à l’affaire de la bulle Unigenitus,
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Cette situation a été possible à partir du concile Vatican I :
Les pasteurs de tout rang et de tout rite et les fidèles, chacun séparément ou tous ensemble, sont tenus au devoir de subordination hiérarchique et de vraie obéissance, non seulement dans les questions qui concernent la foi et les mœurs, mais aussi dans celles qui touchent à la discipline et au gouvernement de l’Église répandue dans le monde entier. Pastor Æternus, chapitre 3
En lisant Les principes de la théologie catholique, je ne pense pas que le cardinal Joseph Ratzinger croyait à cette définition. Et en voyant agir, Sa Sainteté le pape François, je ne crois pas que lui même y crois. La frayeur vous prend que je puisse remettre en cause le Premier concile du Vatican. Votre charité de pasteur vous fait craindre pour le salut de mon âme. Pourtant Sa Sainteté le pape Benoît XVI dans l’ouvrage précédemment cité :
La situation de l’Eglise est modifiée quand un Concile qui semblait valide est, après un certain temps, définitivement et universellement considéré comme « brigandage » et exclu de l’histoire narrative de la foi.
Principes de la théologie catholique, Page 237, Téqui, 1985.
s, mes dubia sur le fait que Pastor Æternus est un cheval de Troie, farouchement défendu par les Catholiques conservateurs et dans lequel se cachent les libéraux qui s’en servent pour détruire la sainte Eglise.
Manteau de Noé
En cas de scandale de l’autorité il y a plusieurs attitudes a avoir. Celle de la dénonciation, est légitime, mais parfois en montrant le péché on peut arriver à deux résultats opposés : le doute chez les petits ou même la banalisation de ce péché. Il y a aussi l’attitude qui nous est dicté par l’Ecriture sainte, lorsque se causa le premier scandale d’autorité
Ultramontains
Si l’on voit dans les philosophes des lumières les précurseurs de la Révolution française, il faut se demander ce qui a permis qu’autant d’esprits brillants aient pu être perverti en milieu et société catholique. Ce n’est pas tant que ce furent les jésuites et autres congrégations ultramontaines qui les formèrent dans leur établissements scolaire mais c’est que toute la société du roi, de la noblesse, de la bourgeoisie et au peuple qui avaient été perverti par ces mêmes congrégations.
Ainsi ce même mécanisme ayant détruit les églises de France, la royauté de France est en train de détruire l’église de Rome.
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Fort du décret de la Faculté de théologie de Paris en 1554, Pasquier entend « avecq toute seurté de [sa] conscience combattre en camp clos, ce monstre, qui, pour n’estre ny seculier, ny regulier, estoit tous les deux ensemble, et partant introduisoit dedans nostre Église un ordre hermaphrodite »2.